(BFI) – Pour surpasser l’impact sanitaire et économique de la pandémie, l’Afrique doit repartir d’un nouveau pied et se restructurer.
Près d’un an après l’apparition de la crise « coronavirus », 2021 est la promesse d’une sortie de crise lente et progressive. L’arrivée des premiers vaccins permet aux autorités d’entrevoir le bout du tunnel et d’envisager la relance économique. Toutefois, le parcours est long et nécessite encore des efforts continus et rigoureux. Au port du masque et à la distanciation sociale s’ajoutent les couvre-feux, les confinements successifs et les campagnes vaccinales – quand cela est possible –, autant d’actions menées par les États du monde entier pour tenter d’endiguer la pandémie qui aujourd’hui mute. Dans ce contexte encore fragile et incertain, l’Afrique, même éprouvée, a semblé relativement épargnée. Qu’est-ce que les 54 États africains ont-ils à proposer à leur population ? À quelle (re)structuration peuvent-ils procéder pour sortir de l’ornière ? Éléments de réponse.
L’Afrique épargnée mais éprouvée
Bien que nous constations à ce jour une résurgence du nombre de cas Covid-19 sur le continent, avec des foyers situés en Afrique du Nord et de l’Ouest conjugués avec l’apparition du variant sud-africain, l’Afrique s’en sort relativement bien sur le plan sanitaire. Déplorant près de 85 000 décès (soit 4 % du nombre de décès au niveau mondial), le salut de l’Afrique s’explique certainement par la jeunesse de sa population (l’âge médian est de 19 ans), l’expérience acquise lors des épisodes précédents de pandémies, une population majoritairement rurale et un flux de personnes moins important que sur les autres continents.
Cependant, si d’un point de vue sanitaire nous sommes loin des scénarios de catastrophe prédits en début de crise, sur le plan économique, les Africains sont durement touchés. Pour la première fois en 25 ans, l’Afrique connaît une contraction de sa croissance à 3 %, selon la Banque mondiale. Cette récession, qui révèle la fragilité des économies africaines, s’accompagne de graves conséquences : basculement de 26 à 40 millions d’habitants dans la pauvreté, aggravation des inégalités sur fond de crises sociales (comme en Afrique du Sud ou au Nigeria) et baisse notable du PIB due à une trop grande dépendance aux industries extractives. Des conséquences qui menacent les avancées réalisées ces dernières décennies. Pourtant, face à cette réalité difficile, le continent n’est pas anéanti. Il dispose de cartes qui, mises en jeu au bon moment, pourraient lui permettre de se remettre avantageusement dans sa course à l’émergence.
La régionalisation des échanges : une opportunité
Avec le libre-échange mis à mal par la guerre commerciale entre les grandes puissances que sont notamment les États-Unis, la Chine et l’Europe, sans compter les mouvements de repli sur les marchés des communautés économiques régionales, on peut penser qu’il y a un risque que la démondialisation crée un contexte défavorable au développement de l’Afrique. Il n’en est pourtant rien ! Ensemble, les 54 pays disposent d’atouts qui peuvent les aider à mieux construire leur souveraineté économique. Si ce sont les ressources naturelles du sous-sol qui viennent spontanément à l’esprit, celles-ci ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En effet, le potentiel agricole est à citer au premier rang des atouts du continent. Encore sous-exploité, le secteur primaire est un secteur-clé pour atteindre, d’une part l’autosuffisance alimentaire (besoin de base menacé pendant la crise à cause d’une chaîne d’approvisionnement trop dépendante des importations) et, d’autre part, nourrir le monde entier avec ses 60 % de terres arables inexploitées (l’Afrique ne contribue qu’4 % de la production mondiale).
Le corollaire du secteur primaire est la transformation (applicable également à d’autres secteurs que celui de l’agroalimentaire). L’Afrique dispose d’une marge de progression importante en termes de capacité à transformer ses matières premières et donc en termes de création de valeur. Le fait que l’industrie contribue pour seulement 25 % du PIB indique que des efforts doivent être poursuivis dans le sens de l’industrialisation pour espérer améliorer la création de richesse pour les populations (le secteur industriel a généré en 2019 700 dollars de PIB par habitant). Développer l’industrie, c’est aussi s’appuyer sur des hommes et des femmes ! Le capital humain africain représente également une force considérable, et ce, à plus d’un titre.
À l’échelle continentale, la part importante de la jeunesse (60 % de la population a moins de 24 ans) constitue une formidable opportunité de développement pour favoriser l’innovation et une transformation sociale au travers d’un entrepreneuriat qui peut s’appuyer sur une jeunesse créative qui a besoin d’accompagnement. Championne du monde de l’entrepreneuriat au féminin avec un taux de 24 % de femmes qui créent leur entreprise, l’Afrique a encore des potentialités à faire valoir. À l’extérieur des frontières, ce sont les membres de la diaspora formés et détenteurs de capitaux (en 2019, les transferts de fonds vers l’Afrique s’élevaient à 48 milliards de dollars) qui donnent souvent l’impulsion pour entreprendre des projets vecteurs de croissance.
Enfin, pour libérer le flux d’activités entre pays africains, il convient de rappeler que l’Afrique s’ouvre un potentiel de taille avec la Zone de libre-échange africaine (Zlecaf) qui ne manquera pas d’aider à augmenter en volume et en diversité les échanges régionaux. Imaginée pour constituer le socle d’un marché intégré, la Zlecaf se veut aussi comme un rempart pour contenir la prédation du continent. Le marché sous-régional de l’Afrique de l’Est, qui résiste bien face à la crise, en est une parfaite illustration. L’idée est donc de transposer ce modèle à l’échelle du continent et de lui donner un cap profitable pour un maximum de pays africains. Pour y arriver, il ne suffit pas d’avoir des vœux, il faut une vraie feuille de route.
Une feuille de route à redéfinir
L’Afrique doit donc définir son propre agenda à travers une feuille de route ajustée à ses réalités et qui place la souveraineté, la bonne gouvernance et l’innovation au cœur des préoccupations. L’objectif est de générer une croissance durable et inclusive. Cela implique naturellement que les États jouent un rôle encore plus prépondérant dans la création de conditions qui garantissent le bien-être des populations et encouragent l’initiative privée. Pour ce faire, il sera difficile de déroger à l’obligation de s’engager dans des réformes structurantes, c’est-à-dire capables de porter durablement les ambitions des différents pays. L’illustration en est faite avec l’Éthiopie dans le secteur des télécommunications ou le Togo dans celui du numérique, pour ne citer que ces exemples. Les investissements massifs faits dans le numérique, la transformation et l’interconnectivité, entre les villes et les différents bassins d’activité, ont rendu possible l’émergence de champions régionaux répartis à travers le continent comme le Maroc, le Kenya, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, etc., selon les secteurs. Au-delà de ces axes d’investissement, il importera de multiplier les partenariats public-privé (PPP) orientés vers des investissements créateurs de valeur locale ouverte sur l’international. Avec la pandémie qui vient de secouer le monde, l’impératif de politiques d’investissement plus volontaristes dans la santé et la recherche s’impose avec, au bout, le souci de faire émerger des pôles régionaux de compétences, de quoi gagner en expertise et par suite en souveraineté dans une logique de coopération étroite entre les différents pays. Last but not the least. Avoir à l’esprit de bâtir une croissance respectueuse de la préservation de la vie et la dignité humaine, par une gestion maîtrisée des ressources naturelles ainsi que par la prise en compte des enjeux climatiques.
Sur ces sujets, les efforts doivent être consentis pour que la protection sociale, par exemple, soit enfin assurée. À cet égard, une Union africaine plus forte sur le plan politique, socio-économique et environnemental est un partenaire de tout premier plan pour une réflexion et une mise en œuvre efficiente de la restructuration du projet de développement de l’Afrique. Au moment où le monde est à un tournant décisif, l’Afrique tient, au-delà des événements difficiles vécus actuellement, une opportunité de penser et d’accélérer sa transformation. Celle-ci ne saurait seulement reposer sur les épaules des seuls dirigeants du continent. Société civile, leaders économiques ou associatifs sans compter l’Africain de base ont aussi leur partition à jouer dans cette transition où sens de l’initiative, bonne gouvernance et transparence se côtoieront autant dans des projets nationaux qu’internationaux.
Par Christian-Makolo Kabala, Président de Sud Axe Parners, conseil en stratégie
Kamahunda Mulamba, Directeur Afrique de Sud Axe Partners