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ZLECAF : pour Martial Ze Belinga, un projet intégrateur en Afrique peut contribuer à réduire des tensions

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(BFI) – Retardée par la pandémie du coronavirus, la Zone de libre-échange continentale africaine est entrée officiellement en vigueur le 1er janvier 2021. Le démarrage de ce vaste marché de plus d’un milliard 200 millions de personnes était initialement prévu le 1er juillet dernier. Sur les 54 pays du continent, 34 ont déjà ratifié le traité instaurant la ZLECAf. L’objectif est d’augmenter le niveau des échanges intra-africains pour les faire passer de 16% aujourd’hui à 60% en 2034. Notre invité est l’économiste Martial Ze Belinga.

Est-ce que l’Afrique est prête pour lancer cette zone de libre-échange ?

Il y a un moment de lancement pour toute zone de libre-échange et un moment où les choses prennent une vitesse de croisière. Vous avez vu récemment pour l’accord de libre-échange entre l’Asie et le Pacifique : l’Inde était prévue et au dernier moment n’a pas signé, mais l’accord a été signé. Pour ce qui concerne l’Afrique, ce qui est important, c’est qu’on a aujourd’hui « les poids lourds » du continent – les autres ne sont pas moindres –, mais en tout cas on a des économies motrices du continent qui sont présentes et qui se préparent activement.

Le 1er janvier 2021, une date symbolique   

C’est une date symbolique, mais c’est une date quand même. Il faut savoir que le projet de l’unification économique de l’Afrique est ancien, sur lequel les pays africains se sont entendus dès les années 1960 à savoir : on ne va peut-être pas aller aux Etats-Unis d’Afrique tout de suite, mais on peut travailler à une intégration régionale, puis une intégration continentale. C’est en fait l’aboutissement de ces démarches-là à travers différentes étapes, comme le plan d’action de Lagos, comme la création d’une Communauté économique africaine en 1991, comme l’agenda de 2063, ce sont toutes ces étapes qui produisent aujourd’hui le projet de la Zlecaf. De toutes les façons, il faudrait sortir du modèle ancien et colonial, qui est : on exporte des matières premières, on n’échange rien entre nous. 

En 60 ans d’indépendance pour un certain nombre de pays, certains sont en voie de développement, d’autres sont les moins avancés au monde et on a une stagnation économique insoutenable, alors qu’on va avoir bientôt 2 milliards d’Africains. Il faut trouver un modèle alternatif, un modèle alternatif et positif pour les Africains. La Zlecaf en fait partie, même si ce n’est pas une panacée.

La Zlecaf prévoit la suppression entre 85% et 90% des tarifs douaniers sur les biens et les services d’ici une quinzaine d’années. Est-ce que c’est une ambition réaliste ?

La véritable ambition ne repose pas sur les chiffres. C’est une dynamique d’intégration africaine qu’il faudrait créer. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les pays africains sont quasiment intégrés à l’économie européenne et de plus en plus à des échanges avec l’Asie, mais pour l’essentiel échangent peu entre eux. C’est un modèle mortifère, qui fait que l’Afrique est globalement dépendante du reste du monde. Elle ne produit que ce dont le reste du monde et ne produit pas ce dont elle a besoin elle-même. Ce modèle est totalement caduc. Donc, il faut trouver autre chose. Les questions de pourcentage sont des questions sur lesquelles on peut discuter. Pour le moment ce qui est prévu, c‘est à peu près 90% d’abaissement tarifaire sur 5 à 10 ans selon le niveau de développement des pays et il resterait à peu près 3% minimum d’échanges frappés par les taxes de douanes.

Le plus important n’est pas dans les 90%, le plus important c’est dans la dynamique, le changement structurel qui peut amener les économies, parce qu’elles sont appelées à être interdépendantes, à transformer leurs relations de production. C’est-à-dire qu’à partir du moment où 2 pays cotonniers ne vont pas se vendre entre eux du coton brut, ils seront plus incités qu’avant à transformer leur coton en textiles, en toutes sortes de biens manufacturés intégrant du textile ou à vendre des biens intermédiaires à des pays un peu plus lointains ou à des pays enclavés. C’est ça la dynamique qu’il y a derrière les chiffres, qui peuvent être amendés et ça se fait sur la durée.    

On a vanté ces 20 dernières années le dynamisme des économies africaines, mais la majorité des pays du continent dépend toujours des exportations des matières brutes dont ont besoin les économies du reste du monde, Est-ce que la dynamique de développer la production locale existe aujourd’hui ?    

Elle existe très faiblement mais aujourd’hui on a beaucoup d’incitations et de paroles qui nous obligent à y aller. La dynamique est en train de s’enclencher pour plusieurs raisons, d’abord par la nécessité. Avec la pandémie du Covid, à partir du moment où on est dans un distanciel avec le reste du monde, avec l’Occident, ça devient extrêmement compliqué. Les cours des matières premières s’effondrent, l’endettement augmente et il faut casser cette logique-là qu’on ne maîtrise pas, en partant sur nos ressources et nos échanges endogènes. On a une crise aujourd’hui qui fait la pédagogie du changement de paradigme. Et ça va enclencher une dynamique.

Je constate quand même que des pays comme le Nigeria, qui donnait l’impression d’être réticent, fait aujourd’hui non seulement la promotion de la Zlecaf, mais il organise les professionnels et les jeunes ingénieurs, pour se préparer à l’échéance de la Zlecaf en disant : nous devons être leader sur ce projet. L’Afrique du Sud a lancé des études et est en train de mettre sur pieds tout un modèle et des dispositifs d’incitation à ses exportateurs, pour qu’ils se déploient vers la Zlecaf. Pareil pour un pays comme le Kenya qui échange peu avec l’Afrique de l’Ouest. L’Algérie a fait le même examen et prépare une stratégie de promotion des exportations vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne dans la perspective de la baisse des tarifs douaniers avant leur disparition. Donc il y a quelque chose qui est en train de se produire, qu’il faudrait soutenir et amplifier.

Est-ce ce quelque chose qui se produit et qui se produira ne se fera pas au profit de certains pays et au détriment d’autres ?

Tous les accords de libre-échange, quand ils fonctionnent bien, produisent des effets collectifs qui peuvent être positifs et peuvent également produire des effets concurrentiels à certains endroits. C’est vrai surtout quand vous avez des productions qui vont rentrer en concurrence avec d’autres productions. Il faut savoir que nous avons un taux d’industrialisation qui est très faible. Ça veut dire que potentiellement aujourd’hui, tout le monde peut gagner, parce que tout le monde peut augmenter son niveau de production locale et son niveau d’industrialisation. Donc, l’idée qu’on risquerait d’avoir une somme de gagnants et des perdants de l’autre côté est valable lorsque les niveaux de développement sont relativement élevés et que tout le monde a un niveau industriel relativement élevé. Ce n’est pas le cas pour ce qui est des pays africains. Mais, les pays qui vont gagner d’abord à court terme, ce sont les pays qui seront les mieux préparés, qui ont les économies les plus industrialisées et les plus diversifiées. Quand on lit ce que fait le Kenya pour se préparer, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas bénéficiaire de l’accord. Mais il n’empêche personne de se préparer également. C’est aux Etats de savoir adopter une stratégie efficiente vis-à-vis de la Zlecaf.

Que diriez-vous à ceux qui craignent que la Zlecaf ne profite plutôt aux multinationales d’autres continents qu’à l’Afrique élle-même ?

C’est la crainte principale quand on a un appareil de production relativement faible et qu’on ouvre les vannes à la circulation des produits. La première réponse à cela c’est la règle d’origine pour déterminer les produits qui échappent aux droits de douanes. Mais la vraie réponse, c’est la montée en gamme de la transformation, la montée en gamme de l’Afrique dans les chaines de valeur internationales et régionales, c’est-à-dire la façon dont les Africains pourront et devront répartir la production entre les différents territoires du continent.

Est-ce qu’il n’y a pas d’ores et déjà beaucoup de freins à la réalisation de l’objectif de passer 16% d’échanges intra-africains aujourd’hui à 60% d’ici une quinzaine d’années ?

Bien sûr ! Quand on parle des accords de libre-échange, souvent on se base sur des échanges entre pays qui ont déjà réalisé un certain nombre d’investissements en termes d’infrastructures, de transport, tout ce qui entoure le commerce a déjà été réalisé. Le cas de la Zlecaf est autre. Les accords de libre-échange ici ne viennent pas à la fin d’un processus de production, de construction des infrastructures, c’est un accord qui vient précisément pour dynamiser un processus de développement. Donc forcément il y a des obstacles. On a aujourd’hui des difficultés du point de vue sécuritaire dans plusieurs endroits du continent, on a des difficultés de gouvernance, on a des difficultés politiques, c’est évident et on ne peut pas le nier. Mais précisément aussi, avoir un projet intégrateur, dont on voit que les bénéfices peuvent être mieux répartis et peuvent vraiment bénéficier aux Africains, ça peut contribuer à réduire un certain nombre de tensions et de problèmes. 

RFI

Rédaction
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