(BFI) – Après la phase pilote initiée par sept pays du continent, l’élargissement de l’Initiative de Commerce Guidé (GTI) à 24 autres pays devrait marquer un tournant pour ce qui est appelé à devenir la plus grande zone de libre échange à l’échelle mondiale. Actuellement, 96 produits peuvent être échangés librement avec des préférences tarifaires dans le cadre de cette initiative. Le prochain sommet de l’Union africaine prévu en février prochain devrait aussi encourager davantage l’opérationnalisation de la Zlecaf dont l’opération pilote a été globalement concluante. Toutefois, des efforts sont encore à faire pour que l’Afrique devienne un véritable marché commun.
Avec 53 pays qui ont signé le traité de la mise en place de la Zone de libre échange continental africaine (Zlecaf), dont 47 l’ont ratifié, le marché commun africain, appelé à devenir la plus grande zone de libre échange du monde, est bien sur les rails. De l’avis de nombreux experts, le processus sera lent à se mettre réellement en place, mais tout indique que la marche vers la mise en place de ce marché commun africain est inéluctable. Et l’Initiative du Commerce Guidé (GTI) lancé le 7 octobre 2022 par 7 pays (Cameroun, Egypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda et Tanzanie) a servi de phase pilote. Celle-ci « vise à permettre des échanges commerciaux significatifs et à tester l’environnement opérationnel, institutionnel, juridique et politique commercial dans la cadre de la Zlecaf », selon Wamkele Mene, secrétaire général de la Zlecaf.
Les produits échangés dans le cadre de cette initiative et qui étaient au nombre de 96 (produits pharmaceutiques, caoutchouc, acier, pâtes alimentaires, carreaux céramiques, thé, café, sucre, fruits secs,…) et pour lesquels des règles d’origines existent, ont servi de déclencheur des échanges commerciaux via les conditions préférentielles de la Zlecaf.
Même si l’opération n’a concerné qu’un nombre réduit de pays et de produits, les résultats ont été jugés globalement concluants. « Les leçons que nous avons tirées sont qu’en réalité, le secteur privé à travers le continent est prêt à tirer profit de la Zlecaf et que les gouvernements doivent agir beaucoup plus rapidement pour répondre à leurs besoins », a souligné Wamkele Mene, secrétaire général du groupement, ajoutant que « cette année (2024), notre intention est d’accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf ». Et c’est dans cette optique que 24 autres pays africains vont intégrer cette année l’Initiative du Commerce Guidé, portant à 31 le nombre de pays devant échanger un certain nombre de produits via les règles de la Zlecaf.
A partir de cette année, ce sont au total 31 pays qui vont échanger un certain nombre de produits via les conditions préférentielles prévues par la Zlecaf. Il s’agit de pays qui ont déployé le livre des tarifs douaniers électroniques de la Zlecaf et le manuel des règles d’origine, et qui ont officiellement publié leurs taux tarifaires. L’année 2024 sera donc celle du lancement de la Zlecaf avec plus de la moitié des Etats africains engagés.
Rappelons que consciente que les barrières tarifaires et non tarifaires constituent des obstacles majeurs au développement des échanges au niveau du continent, la Zlecaf a mis l’accent sur l’élimination progressive de celles-ci pour stimuler les échanges commerciaux intra-africains.
Si l’accord comporte plusieurs protocoles couvrant plusieurs domaines dont le commerce de marchandises, le commerce de services, les droits de propriété intellectuelle et la politique de concurrence, le volet le plus important reste celui des échanges commerciaux et l’élimination progressive des barrières tarifaires qui constituent des obstacles majeurs aux échanges.
A ce titre, un démantèlement progressif des tarifs douaniers a été adopté sur la base de trois listes nationales des concessions (A, B et C). La «Liste A» comprend 90% des lignes tarifaires de chaque pays représentant l’équivalent de 90% de ses importations en provenance du reste des pays membres de la Zlecaf. La libéralisation des produits de cette liste, considérés comme des produits non sensibles, se fera de façon graduelle, dans un délai de 5 ans pour les pays en développement (2021-2025) et 10 ans pour les pays les moins avancés (PMA).
Concernant la «Liste B», celle-ci comprend 7% des lignes tarifaires de chacun des pays membres. Il s’agit globalement de produits considérés comme sensibles et qui bénéficient de ce fait d’une protection plus étalée dans le temps, soit 10 ans pour les pays en développement (2021-2030) et 13 ans pour les PMA.
En plus, il y a la «Liste C» constituée de 3% des lignes tarifaires de chacun des pays de la Zlecaf qui sont exclus de la libéralisation du fait de leurs spécificités économiques ou sociales pour le pays.
Ces démantèlements tarifaires ont débuté le 1er janvier 2021. Et chaque tranche de démantèlement est appliquée le 1er janvier de chaque année. A noter que les échanges dans le cadre de la Zlecaf obéissent au principe de réciprocité qui implique que les avantages consentis par un pays à un autre doivent être réciproques.
En éliminant progressivement les barrières tarifaires, les pays africains devraient lever un des obstacles majeurs aux échanges de marchandises intra-africains. Selon la Banque mondiale, « à elle seule, cette mesure permettrait de développer les échanges et d’augmenter le revenu réel de 7% d’ici 2035 ».
En ce qui concerne les barrières non tarifaires (mesures sanitaires et phytosanitaires, règles d’origine…), celles-ci sont intégrées par la Zlecaf dans le cadre du protocole sur les biens qui définit les modalités pratiques d’opérationnalisation, en particulier les institutions à mettre en place.
Conscients que la barrière tarifaire n’est pas le seul obstacle aux échanges intra-africains, les dirigeants de la Zlecaf se sont aussi penchés sur les moyens à même de faciliter les échanges commerciaux en ce qui concerne le mode de paiement. Et pour faciliter les échanges, le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS) a été mis en place. Cette plateforme de marché financier permet des paiements transfrontaliers instantanés en monnaie locales entre les marchés africains. Avec le PAPSS, les opérateurs africains réalisent d’importantes économies évaluées à 5 milliards de dollars par an en coûts de transactions de paiement. En plus, avec cette plateforme, les opérateurs économiques du continent réduisent leur dépendance à l’égard des devises fortes (dollar, euro, livre sterling…) lors de leurs échanges commerciaux.
Reste que la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires ne suffira pas à elle seule pour booster les échanges intra-africains. Pour stimuler ceux-ci, les pays africains doivent investir davantage dans les infrastructures qui font défaut au niveau du continent. Pour doper les échanges, il faut davantage de routes, autoroutes, de ports, de centres logistiques, des chemins de fer… En clair, pour développer les échanges au niveau du continent, il faut mettre en place des corridors commerciaux et portuaires qui vont faciliter l’acheminement des marchandises et réduire les coûts logistiques qui sont parfois largement supérieurs à ceux des droits de douane.
Ensuite, il faut aussi régler le problème des paiements des transactions au niveau du continent où on compte de nombreuses monnaies locales, poussant les opérateurs à passer par des devises fortes (dollar, euro, livre sterling…) pour régler leurs importations. « Quand on doit acheter des marchandises, le paiement doit passer par un pays tiers en dehors de l’Afrique avant que l’argent ne revienne dans le continent et cela s’est avéré coûteux, d’où notre décision de créer le PAPSS », a expliqué Mohamed Ali, directeur du Commerce des biens et de la concurrence au Secrétariat de la Zlecaf. A ce titre, certains pensent qu’il faudrait faciliter les échanges via les monnaies africaines.
Du coup, pour stimuler davantage les échanges en faisant face aux coûts générés par le recours aux devises fortes et au swift, certains pensent qu’il faut aussi envisager des paiements en monnaies locales. Le président kenyan William Ruto est partisan des paiements des transactions commerciales en monnaies locales estimant que « cela réduira le coût de la convertibilité des monnaies africaines qui est de 5 milliards de dollars par an et ceux des transactions swift qui représentaient 19,5 milliards de dollars en 2019 ».
Par ailleurs, pour stimuler les échanges, il faut aussi disposer d’une offre suffisante de produits. Or, peu de produits sont transformés sur le continent. D’où l’urgence d’encourager la transformation des produits locaux et encourager l’industrialisation du continent et donc des échanges portant sur des produits à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, selon la Banque mondiale, au niveau des exportations, la Zlecaf devrait permettre d’accroître les exportations africaines de 560 milliards de dollars, essentiellement dans le secteur manufacturier. Toutefois, pour atteindre ce niveau, il faudrait que le marché commun incite davantage de pays à se lancer dans la transformation de leurs matières premières et agricoles.
La Zlecaf est donc sur la bonne voie. Cet accord qui réunit 53 pays avec un marché de plus de 1,3 milliard de consommateurs et un produit intérieur brut (Pib) de plus de 3500 milliards de dollars pourrait contribuer à transformer les économies africaines. Une fois qu’elle sera entièrement opérationnelle, la Zlecaf boostera les échanges commerciaux intra-africains, encore très faibles. En effet, selon les données récentes de la Cnuced, ceux-ci tournent autour de 14,4% du commerce extérieur des pays africains, contre 63% pour les échanges intra-européens et 58% pour les échanges intra-asiatiques (2021). Seulement, pour augmenter sensiblement ce ratio des échanges intra-africains, il faudra que les pays africains révolutionnent leurs économies en misant davantage sur la transformation de leurs produits.
La Rédaction