(BFI) – Il est รฉvident que lโannonce de la hausse du prix du carburant est un choc pour les mรฉnages et les entreprises camerounaises. Plus quโun choc il sโagit dโune mauvaise nouvelle dont les impacts vont dรฉgrader le pouvoir dโachat dรฉjร suffisamment entamรฉ par lโinflation en cours.
En pareille circonstance, les dรฉbats sont trรจs passionnรฉs entre ceux qui sont ยซ pour ยป et ยซ contre ยป la mesure. Cette ambiance ne doit pas nous รดter lโexigence dโune analyse de cette dรฉcision, de son opportunitรฉ et des conditions de sa rรฉussite. Lโobjectif de ma prise de parole est dโengager une conversation autour de lโopportunitรฉ de la hausse du carburant. Opportunitรฉ au regard de la conjoncture actuelle et des perspectives de long terme. Parlant de la conjoncture, il nโรฉchappe ร personne que lโรtat fait face ร de sรฉrieuses contraintes financiรจres et la rationalisation de ses charges constitue un levier non nรฉgligeable. De mรชme, du fait de cette conjoncture et de son dรฉploiement engagรฉ depuis les annรฉes 2000 ร la suite de la grande crise รฉconomique qui aura durรฉ 20 ans (1980-2000), il apparaรฎt que lโรtat sโest promis de rรฉduire son intervention directe ร travers les subventions pour encourager la production grรขce aux infrastructures รฉnergรฉtiques, miniรจres et routiรจres. Il est alors clair que lโรtat vise ร changer de paradigme dโintervention en rรฉduisant les subventions dans divers secteurs : secteur des entitรฉs publiques avec les lois de 2017 et progressivement la rรฉduction de la subvention des prix du carburant, entre autres. Il ne serait pas รฉtonnant que dโautres secteurs soient concernรฉs ร lโavenir.
Il me semble alors indispensable dโapprรฉcier lโopportunitรฉ de la baisse des subventions du carburant (I), dโinsister davantage sur les conditions de viabilitรฉ de cette dรฉcision (II) et les risques de pressions sociales et politiques (III).
I. Lโopportunitรฉ de lโaugmentation du prix du carburant
Vous aurez compris mon parti pris : il nโest pas question de chercher ร savoir comment en est-on arrivรฉ lร [1]mais en quoi cette dรฉcision peut aider ร sortir de lโimpasse actuelle caractรฉrisรฉe par la raretรฉ des ressources et un fort endettement de lโรtat. Dans ce contexte, la dรฉcision des autoritรฉs camerounaises de rรฉduire la subvention des produits pรฉtroliers et par consรฉquent de hausser les prix ร la pompe sโest prise dans un contexte รฉconomique peu favorable malgrรฉ la rรฉsilience de lโรฉconomie Camerounaise. En effet, depuis plusieurs annรฉes le Cameroun est confrontรฉ ร des dรฉsรฉquilibres macroรฉconomiques importants. Pour illustration, les statistiques du Fonds Monรฉtaire International (FMI) et confirmรฉes par lโInstitut National de la Statistique (INS) rรฉvรจlent que le niveau dโinflation au Cameroun est de 7.7% [2] en 2023. Ce niveau dโinflation est parmi les plus รฉlevรฉ ร lโรฉchelle mondiale. En outre, le niveau de la dette publique oscille autour de 42% du PIB bien que ce niveau soit en baisse comparรฉ ร 2022 (45%) ; il demeure รฉlevรฉ. Enfin le dรฉficit global se situe autour de 0.7 % et le dรฉficit primaire hors pรฉtrole ร 2.5%. Si on peut reconnaitre que ces indicateurs sont en baisse, rรฉsultante des rรฉformes entreprises par les autoritรฉs publiques, il convient cependant dโadmettre que le budget subi des pressions exercรฉes par diverses subventions dont celles aux carburants. En 2022 par exemple, le montant de la subvention sโรฉlevait ร plus de 900 milliards de FCFA [3].
Cependant, lโimpรฉratif du dรฉveloppement auquel sโest assignรฉ le gouvernement ร travers SND30 nรฉcessite une crรฉation importante de la richesse et des ressources disponibles ร court terme. Car, les 4% de croissance enregistrรฉs par le Cameroun en 2023, et les rรฉformes sur lโรฉlargissement de lโassiette fiscale ne suffiraient pas ร elles seules pour atteindre les objectifs de la SND 30. Par ailleurs, le poids des subventions ne faciliterait pas la volontรฉ des autoritรฉs de combler le dรฉficit infrastructurel observรฉ.
Lโobjectif visรฉ par la baisse de la subvention est donc la crรฉation dโun espace budgรฉtaire. Cet espace budgรฉtaire, est censรฉ permettre aux autoritรฉs de disposer des ressources propres. Ainsi, la prรฉsente rรฉforme vise une mobilisation de ressources dโenviron 200 milliards de FCFA en brut. Cette ressource mobilisรฉe est susceptible, de faire lโobjet de rรฉallocation vers les budgets dโinvestissement, permettant ainsi, le dรฉveloppement, la modernisation ou lโachรจvement des projets structurants. ร la suite du resserrement des politiques monรฉtaires ร lโรฉchelle mondiale, la mobilisation dโune telle ressource aurait engendrรฉ des coรปts liรฉs aux services de la dette.
Toutefois, bien quโopportune, les effets nรฉgatifs dโune telle mesure sont immรฉdiats. Pour illustration, cette hausse des prix ร la pompe est de nature ร accroรฎtre le niveau dโinflation qui lui-mรชme est dรฉjร situรฉ ร 7.7%. Car, on assistera inรฉvitablement ร une augmentation des coรปts liรฉs aux transports qui vont se rรฉpercuter sur les prix des denrรฉes alimentaires. Par consรฉquent, une dรฉgradation progressive du pouvoir dโachat sera observรฉe. Aussi, bien que, cette inflation ne sera pas dโordre monรฉtaire, la banque centrale, pourrait รชtre appelรฉe, au meilleur des cas, au maintien du taux directeur, ou au pire des cas, ร la hausse de ce dernier afin de faire baisser les tensions inflationnistes. Une telle mesure pourrait contribuer ร rationner le crรฉdit. Au regard du poids de lโรฉconomie Camerounaise dans la CEMAC, cette inflation gรฉnรฉrรฉe pourrait รชtre contagieuse ร lโรฉchelle rรฉgionale.
Ces effets nรฉfastes de la hausse des prix ร la pompe, suffisent-elles ร compromettre lโefficacitรฉ dโune telle rรฉforme ? Nous souhaitons quโil nโen soit pas le cas. Dโoรน lโintรฉrรชt de convoquer les conditions de la viabilitรฉ de cette mesure.
II. Conditions de viabilitรฉ de la hausse du carburant : gouvernance et lutte contre la pauvretรฉ
Deux conditions apparaissent comme des leviers indispensables ร la dรฉcision analysรฉe ici : la nรฉcessitรฉ dโune meilleure gouvernance et de la lutte contre la corruption.
En ce qui concerne la gouvernance, trois conditions importantes semblent sโimposer si nous voulons tirer avantage de la hausse du carburant.
Dโabord, il convient dโindiquer clairement ร quoi vont servir les ressources qui seront mobilisรฉes grรขce ร cette dรฉcision. Il est vrai que certaines mesures de mitigation sont annoncรฉes et vont nรฉcessiter une petite partie des ressources dรฉgagรฉes ; la plus grande part devra donc รชtre clairement orientรฉes vers les infrastructures attendues. Il sโagit alors de veiller ร ce que les projets concernรฉs sโexรฉcutent convenablement ; ce qui nโest pas totalement assurรฉ quand on sait quelles sont les griefs rรฉguliรจrement relevรฉs : lenteur dans lโexรฉcution des travaux entrainant le renchรฉrissement du matรฉriel, lโincompรฉtence dans la mise en ลuvre de certains projets complexes, la faiblesse du contrรดle et un laxisme inadaptรฉ aux exigences de cette nature.
Ensuite, il faut rรฉduire considรฉrablement le train de vie de lโรtat. Cโest une problรฉmatique engagรฉe depuis plus de 20 ans et dont lโimpact reste attendu. Il nโest plus possible de sโy dรฉrober. Certains pensent dโailleurs ร juste titre quโavec la rรฉduction du train de vie de lโรtat on peut dรฉgager des marges permettant de continuer de subventionner le carburant et dโinvestir dans les infrastructures. La proposition formulรฉe ici est de mener courageusement un audit systรฉmatique, stratรฉgique, opรฉrationnel et technique de lโadministration publique pour rรฉduire les dรฉpenses inutiles. Prenons quelques exemples : le MINDDEVEL nouvellement crรฉรฉe dispose de 8 directions, est-ce vraiment nรฉcessaire, quand on sait quโun vieux ministรจre dont lโรฉtendu de la compรฉtence est important comme le MINAT n’a que 5 directions ? De mรชme, le ministรจre en charge des marchรฉs publics a hรฉritรฉ dโun nouvel organigramme depuis le dernier remaniement ministรฉriel, ses missions ont รฉtรฉ recentrรฉes autour de la programmation et du contrรดle mais continue ร fonctionner avec lโancien organigramme et les directions dont la pertinence nโest plus avรฉrรฉe. On pourrait dans cette perspective questionner la taille du gouvernement et la tendance ร crรฉer des entreprises publiques ou agences dont les coรปts de fonctionnement et le mode de gestion ne garantissent pas toujours lโefficience. On pourrait รฉgalement questionner lโexistence des structures dรฉconcentrรฉes rรฉgionales de certaines agences de rรฉgulation (comme lโART). Je fais fi des dรฉpenses inefficientes de matรฉriel (vรฉhicules, carburant, comitรฉs, missions). Cโest aussi lโoccasion de revoir ร la baisse les allocations des chapitres communs (lignes 94, 65, entre autres qui reprรฉsentent 10% du budget et qui pourraient รชtre rรฉduits ร 5% voire 3%).
Enfin, lโurgence de mener convenablement les politiques publiques pour que lโeffet de lโaugmentation du carburant et les ressources consรฉquentes dรฉgagรฉes puissent impacter positivement. A ce niveau, rien nโest vraiment garanti. Prenons lโexemple des rรฉformes du secteur des entitรฉs publiques qui, malgrรฉ les ressources (subventions) mobilisรฉes et le cadre juridique amรฉliorรฉ, les contreperformances des entreprises restent chroniques avec des risques budgรฉtaires rรฉguliรจrement rappelรฉs. De mรชme, les projets structurants ne sโexรฉcutent pas toujours dans les dรฉlais et dans les conditions de qualitรฉ requises. Il est alors รฉvident que le Cameroun a mal ร sa gouvernance opรฉrationnelle. Surtout, le management du capital humain reste un point de vigilance indรฉniable.
Par ailleurs, il conviendra dโinsister sur les exigences de transparence et de reddition des comptes comme gages de rรฉussite de cette mesure. Cโest ร ces prix que les autoritรฉs camerounaises pourraient sโarracher la confiance du peuple dont lโadhรฉsion est une condition de succรจs.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption, les cas rรฉcents de Glencore, la gestion des fonds COVID-19 et de la CAN en plus des dรฉnonciations contenues dans le rapport de la CONAC ne sont pas de nature ร rassurer quant ร la gestion des fonds gรฉnรฉrรฉs par cette mesure. Ces craintes sont accentuรฉes par des risques de pressions sociales et politiques.
III. Risques de pressions sociales et politiques
Les pressions sociales et politiques sont inรฉvitables.
Pour la pression sociale, il est รฉvident que la hausse du prix du carburant entrainera des effets pervers ร court terme. Elle occasionnera une hausse de lโinflation et une flambรฉe des prix de transport, des denrรฉes alimentaires entrainant une baisse du pouvoir dโachat des mรฉnages. Pour les entreprises, il faut รฉgalement craindre des consรฉquences nรฉgatives non nรฉgligeables. Il va donc sโen suivre une pression sociale inรฉvitable et des fragilitรฉs auprรจs des mรฉnages pauvres et modestes. Cโest un contexte dont la gestion exigera une veille permanente sur le terrain pour parer au moins aux situations urgentes de diverses natures. Les maries seront alors sollicitรฉes pour jouer un rรดle important du fait de leur proximitรฉ locale. En mรชme temps une communication rรฉguliรจre quand aux rรฉalisations et aux espรฉrances rรฉelles devra servir de levier pour accompagner cette pรฉriode difficile. On peut dรฉjร imaginer des concertations avec les diffรฉrentes parties prenantes locales et diverses corporations pour identifier les mesures de mitigation et dโapaisement indispensables.
Concernant la pression politique, elle est bien rรฉelle car la mesure intervient la veille de lโannรฉe รฉlectorale avec le risque de dรฉtournement des ressources รฉconomisรฉes vers les activitรฉs รฉlectorales sans incidences รฉconomiques rรฉelles. Les recrutements exceptionnels ou les avantages sociaux de diverses natures attribuรฉes aux communautรฉs pourraient sโavรฉrer รฉconomiquement improductives. De mรชme, pour apaiser les revendications ร cette pรฉriode รฉlectorale, les autoritรฉs seraient tentรฉes dโaffecter les ressources gรฉnรฉrรฉes par la mesure de la baisse des subventions ร la rรฉsolution des problรจmes sociaux ร lโexemple de la grogne des enseignants au dรฉtriment du financement des infrastructures. Il faut donc craindre que les bonnes intentions nourries par la hausse du carburant ne puissent pas rรฉsister ร la tentation รฉlectoraliste et ร la satisfaction des besoins sociaux pas directement liรฉs aux prรฉoccupations purement รฉconomiques.
Plus globalement, dans ce contexte, la hausse du carburant aura des effets positifs ร long terme si et seulement si la discipline quโexige ce type de dรฉcision est bien respectรฉe. Ainsi, bien plus que par le passรฉ, on aura besoin dโun leadership politique plus affirmรฉ et dโune rigueur managรฉriale ร la hauteur des enjeux. Ce qui nรฉcessite de revoir fondamentalement le mode de gouvernance, dโattribution des responsabilitรฉs et le choix des investissements. Deux points de vigilance sont de mise : limiter lโendettement et investir dans les projets structurants (infrastructures รฉnergรฉtiques et routiรจres).
Pour conclure sur mon propos, le choix de lโaugmentation des prix du carburant est opportun au regard des conditions actuelles oรน le Gouvernement est dans une impasse. Toutefois, cette opportunitรฉ ne sera viable que si les conditions rappelรฉes supra sont remplies et si les risques de pressions sociales et politiques sont bien contenus. Cโest le minimum exigible, malheureusement, par le passรฉ, les rapports rรฉcents publiรฉs sur la gestion des fonds face aux crises rรฉvรจlent que lโefficience nโa pas toujours รฉtรฉ assurรฉe ; ce qui est de nature ร attรฉnuer lโenthousiasme de lโopportunitรฉ clamรฉe.
Pr Viviane Ondoua Biwole, Enseignante ร l’universitรฉ de Yaoundรฉ II, Cameroun ; Administratrice indรฉpendante de BGFI Cameroun
[1] Il sโagit dโune vraie prรฉoccupation qui peut faire lโobjet dโune autre rรฉflexion.